« Ali Blabla », roi de Castel

« Ali, c’est un ovni. » C’est ainsi qu’un ami dépeint, avec tendresse et justesse, Ali Abdelhafidh, 54 ans, propriétaire de Castel Plage. Trente-deux ans que l’homme, élégant avec sa chemise blanche et sa barbichette poivre et sel, dresse chaque saison le décor idyllique de la plus célèbre plage de la Prom. Lui, le gamin de Zarzis, petite ville de Tunisie, devenu plagiste et plus niçois qu’une part de socca !

L’histoire commence en 1966 – Jacques Médecin est alors élu maire – quand le père d’Ali débarque dans les valises d’un tailleur juif tunisien à la villa Zofia, quai des États-Unis. La mère et les cinq enfants arrivent l’année suivante. La famille s’installe rue Cassini, puis rue Boyer. « Avec mes frères, on était à l’école du port, on jouait aux boules aux Résolus Bois Roulant, et on a appris à nager aux Bains militaires. Le dimanche, c’était couscous en famille et, l’été, retour au pays avec la voiture-chameau ! » Aux Eucalyptus, Ali décroche un CAP de tourneur-fraiseur-ajusteur. « Pour faire plaisir à mon père, mais ça ne m’a servi à rien. »

Bagou et travail

Alors, que faire quand on a 18 ans ? Macha, la femme de Sosno, lui souffle l’idée de vendre du cuir. « J’ai acheté une machine à triple entraînement 3 500 francs et démarché les boutiques de la zone piétonne. » Son bagou et le travail (déjà) feront le reste. En 1982, il crée la marque Piéton, fait partie des Jeunes créateurs – que Jack Lang, nouveau ministre de la Culture, veut promouvoir pour exposer au salon du prêt-à-porter de Paris ! Retour gagnant à Nice, où il ouvre un atelier place Philippe-Randon. « Je gagnais beaucoup d’argent, mais c’était un joyeux bordel. Un jour, Colette, une employée, me dit qu’elle voulait être nommée chef d’atelier pour mettre de l’ordre, sinon on allait dans le mur. J’ai compris que les emmerdements commençaient. » Mais le shooting de la collection 1985-1986 sur la plage des Bains de la police, à côté de Castel, où Ali fut serveur à l’été 1980, va tout changer. « J’apprends que c’était à vendre. Ç’a été l’étincelle. J’ai dit au propriétaire que je faisais la saison et que je verrais ensuite. Tout a démarré comme un dragster, la plage était pleine. J’ai signé ! On est devenus les enfants terribles de la Prom. »

Une alchimie et une âme

Saison après saison, montages après démontages – « pire que les douze travaux d’Hercule » -, Castel va devenir la plage de Nice. L’oasis préférée des homos, toujours fidèles, mais aussi des hétéros, des familles, des élus, des people et de quelques artistes – Ben, Sosno, Moya… – qui y exposent. « Castel est vite devenu un bouillon de culture, un lieu de mixité », confie Bruno Mercadal, directeur du Royal Riviera à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Qui, « après vingt-six ans de rigolades et de rosé », est aujourd’hui l’ami de celui qu’il surnomme affectueusement « Ali Blabla ». « Mais pas une institution ni un lieu branché », insiste ce dernier. Les raisons de cette réussite ? « Comme pour un tube, le hasard, soutient Ali. Mais aussi l’emplacement magique, lové au pied de la colline du château avec cette vue sur la baie des Anges, la clientèle, le staff, qui forment une alchimie… »

 

Et une personnalité qui a su donner une âme au lieu. « Ali est un mec intelligent, intuitif, vif d’esprit, plein d’humour, ajoute Bruno Mercadal. Un gros bosseur qui ne lâche rien, un caméléon sincère, que les gens apprécient. » « Je suis un buvard, je n’ai pas appris à l’école, mais à travers les autres, confirme Ali. Je me remets toujours en question pour trouver le fil conducteur de l’histoire, séduire et donner du plaisir aux gens. J’aurais pu gagner plus d’argent, mais j’aurais perdu tout ça. » Tout ce que le coup de mer du 3 mai 2010 a ravagé. Mais, comme c’est écrit sur l’oeuvre de Ben accrochée près du bar, « Ici, pas de vagues ». Il en fallait plus pour engloutir « Ali Blabla ».

 

Voir l’article original sur Le Point